Planète de Pandore
Le film : un pur fantasme adolescent, démiurgique, ressuscitant une science-fiction fantasy héritée des seventies. Soit la conception totale d'un univers, d'une planète (Pandora) inventée de toutes pièces, avec son bestiaire et ses indigènes, les Na'vis, évoquant les Indiens d'Amérique. Face à eux, des humains, scientifiques et militaires, cherchant respectivement à comprendre cet autre inaliénable entretenant un rapport étroit avec la nature, ou le détruire pour exploiter les ressources de ses terres.La simplicité du récit, parsemé de figures archétypales, de dialogues minimalistes, de situations schématiques et reposant sur une structure claire, presque balisée, s'inscrit dans la continuité du cinéma épuré de Cameron.
L'objectif n'est pas la profondeur narrative, la densité psychologique des personnages, les arabesques scénaristiques, tout est à l'image, c'est du cristal, brut, sans fioritures. On pourra regretter parfois un manque de souffle ou de fluidité dans l'évolution de l'intrigue, une légère complaisance dans les morceaux de bravoure tant le cinéaste s'étourdit avec sa technologie, mais ceci n'enlève rien à la puissance épique du film. Cameron offrant avec Avatar LE blockbuster de la décennie, une œuvre à la mise en scène époustouflante reléguant tous les Peter Jackson et autres Michael Bay en classe préparatoire de réalisation. Car c'est sa force, absolue, une véritable et grande démonstration, que d'imposer un sens du découpage, de l'espace, des échelles, dont lui seul est encore capable aujourd'hui. Jamais prise à défaut, la caméra s'envole, délestée de toute apesanteur, dans des plans d'une amplitude délirante où l'action est toujours lisible en dépit d'un rythme effréné durant certaines scènes. Le film est ainsi porté par un mouvement constant où le regard ne se dilue jamais. Les décors sont démesurés, vertigineux, majestueux, offrant des perspectives étourdissantes dont on perçoit l'immensité même au cœur d'une bataille finale sidérante de virtuosité. Du jamais vu depuis l'avènement des effets numériques à Hollywood, Cameron mettant tout son sens du cadre et un certain classicisme au service d'un cinéma inédit et mutant dont il est à l'origine.
A ces considérations plastiques, se conjugue une dimension politique où en brocardant une Amérique barbare et impérialiste évoquant le massacre des Indiens (le Nouveau monde, encore), le Viêt-Nam ou l'Irak, Cameron marque ses positions et fait sa relecture de l'Histoire. Aucune réconciliation dans Avatar, le film qui laissait présager un conte moral et tolérant est un leurre. Malgré l'expérience altruiste du héros, son intrigue amoureuse avec une indigène, la réponse à l'attaque des humains entraîne une rupture définitive, pas de réunion pacifico-démocratique, sauf pour quelques élus. Selon Cameron, les machines doivent être au service de l'homme et non du militaire. C'est simple, limpide. D'autant que la fuite dans un monde imaginaire où la réalité est plus belle en numérique (convergence de l'intrigue et son esthétique), prend chez Cameron des allures de manifeste. Kate Winslet avait survécu au désastre d'une civilisation mutante et industrielle. Les héros digitaux d'Avatar en sont les descendants, gagnant paradoxalement une forme de liberté et d'ouverture par la technologie. Au fond, le véritable enjeu du film repose sur l'idée d'un dépassement du concept de vivant et d'humanité par et avec les machines. C'est dire si James Cameron voit loin et que se dessine déjà son futur Battle Angel.