Mort cérébrale et don d'organes

Mort cérébrale et don d'organes

Messagepar Jean-Claude Carton » Dim 21 Août 2011 19:06

Extrait du livre " De la mort apparente à la Vie consciente"

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Durant vos années consacrées à la réanimation en neuro-traumatologie, vous avez participé aux prélèvements d'organes en vue de greffes.
La mort prend une dimension particulière en ces circonstances.
Quelle est votre approche de cette véritable mort-renaissance ?


J'ai eu la chance de me trouver à cette époque dans un service pionnier en matière de prélèvements d'organes, mon ancien «Patron» , le Professeur Alain MILHAUD, ayant beaucoup oeuvré pour promouvoir à Amiens, ma ville natale, l'activité naissante de prélèvements d'organes sur donneurs en mort cérébrale. Un des tests de mort encéphalique, «l'épreuve de débrancher en oxygène pur», a d'ailleurs été mis au point dans notre service, avant de passer dans les critères officiels de mort cérébrale.
Nous recevions à l'époque beaucoup d'accidents de deux roues(25 ans après cela n'a pas changé), dont les victimes étaient bien entendu des adultes jeunes ou des adolescents. Ils présentaient des lésions cérébrales gravissimes évoluant pour un bon nombre d'entre-eux vers la mort encéphalique irréversible.
Notre travail de réanimateur consistait à maintenir en vie cellulaire périphérique ces jeunes, qui auraient pu être nos enfants, chose qui accentuait encore le retentissement affectif sur l'ensemble de l'équipe, en attendant la venue au bloc opératoire des équipes préleveuses des reins, du foie, du cæur et des poumons, etc...
J'en avais tellement marre de voir ce gâchis humain(vu du côté du donneur) que le jour où mon fils Jean-Baptiste a insisté lourdement pour que je lui paie un scooter, je l'ai emmené dans le service pour lui montrer un jeune de son âge en attente de prélèvement suite à un accident de deux roues. JB s'en souvient encore, il ne m'a jamais plus parlé de scooter.
Il faut savoir que nous avons en France une des législations les plus exigeantes en matière de diagnostic de mort cérébrale*, ce qui est rassurant pour les familles des donneurs. Ce n'est pas le cas de tous les pays du monde, et bien des polémiques s'enflamment de ce de là sur ce point.
Bien que la loi autorise les médecins à prélever des organes sur sujets majeurs en mort cérébrale irréversible, dès lors qu'ils n'ont pas manifesté leur refus de leur vivant, nous avions pour règle de demander l'autorisation aux familles, c'est la moindre des preuves d'empathie à leur égard.
C'est cette demande, parfois pour de jeunes enfants(mon premier «prélèvement coeur-poumon» était âgé de 15 mois) qui est le pas le plus difficile à franchir au réanimateur, assisté de l'infirmière coordinatrice. On imagine l'horrible difficulté pour des parents endeuillés de dire oui au morcellement de leur enfant(qui a l'air si vivant avec son assistance respiratoire) fusse pour un geste noble qui va permettre de vivre à un ou plusieurs patients en attente de greffe. Au plan symbolique, de cette confrontation de deux morts-vivants vont sortir une mort définitive, et plusieurs vies. C'est tellement complexe au plan affectif, que c'en est obscène, et ceci justifie que l'acceptation du don ne soit pas présentée comme un geste culpabilisant en cas de refus de celui-ci. L'obtention de ce «oui» des parents ne doit comporter aucune connotation négative dans la formulation de la demande: que du positif. J'ai entendu une fois, lors d'une demande se soldant par un refus de la famille, un membre du personnel présent lors de l'entretien, pester et lâcher une phrase du genre «vous ne pensez même pas au receveur qui attend et qui va mourir!». Ce jour-là l'adolescent en coma dépassé est mort deux fois, et ses parents certainement un peu aussi...

Bien sûr, et c'est notre moteur, nous-mêmes ne supportons cet acharnement à faire survivre les donneurs potentiels jusqu'au prélèvement, que parce que nous savons très bien quels sont les enjeux d'un tel don. Une fois les organes ôtés et partis en urgence vers les blocs opératoires où attendent les receveurs, nous nous retrouvons avec un mort sur la table d'opération, aussi vides et muets que lui. Le jour où nous avons prélevé ce nourrisson d'un peu plus d'un an, nous étions trois dans l'équipe du bloc pédiatrique à avoir des enfants du même âge. Alors... il faut faire un gros effort pour revenir au versant symbolique positif de cette triste farce de la Vie. Mais quelque part, en France, peut-être un lecteur de ce livre, vit-il avec le coeur de ce petit garçon?
Une des difficultés qui peuvent s'opposer au don d'organes trouve sa justification, pour les donneurs potentiels, dans le doute qui peut planer sur la réalité et l'irréversibilité de cette «mort encéphalique».


Comment pouvez-vous affirmer qu'il est mort puisqu'il est bien chaud, tout rose et que son coeur bat ?


C'est en effet un point très difficile à faire admettre.**
*Il faut se reporter à l'arrêt du conseil d'état(Arrêt MILHAUD) du 22 Juillet 1993, confirmé par le décret du J.O. Du 2 Décembre 1996.
La révision de la Loi de Bioéthique d'Août 2004 en a précisé les données.

**L' article R 1232.1 du Code de Santé Publique précise les critères de «mort encéphalique»: -absence d'activité consciente et motrice
-abolition des réflexes du Tronc Cérébral
-abolition de la Ventilation spontanée
Il faut y ajouter:
-Deux EEG plats à 4H d'intervalle, en normothermie
-possibilité d'y adjoindre: épreuve d'hypercapnie
-possibilité d'y adjoindre: potentiels évoqués
Autres examens:
-Angioscanner(recommandations de la SNF
-Angio-IRM(réalisation techniquement difficile)

Et quand bien même, on est d'accord sur la sécurité du diagnostic de mort cérébrale, des voix s'élèvent pour critiquer la notion même de «mort» : le sujet en mort encéphalique n'est pas encore mort, puisque son coeur bat, par exemple.
C'est vrai au sens pur du terme et en ce qui concerne la survie des cellules autres que les neurones corticaux et sous-corticaux.
Mais par expérience, je peux certifier que l'arrêt des techniques déployées pour faire survivre les organes transplantables, a un effet rapidement délétère: il suffit de couper l'oxygène, de suspendre l'assistance hémodynamique pharmacologique, pour que ce corps sans vie de relation, ni autonomie neuro-végétative cesse de sembler vivant.

Le problème est parfois ailleurs, d'ordre religieux par exemple. Je ne m'introduirai pas dans un tel débat. C'est une affaire de croyances et de conscience morale. Les deux ne font pas forcément bon ménage au regard du bon sens.

J'ai rencontré des receveurs. Chez eux aussi des problèmes d'éthique peuvent se poser, preuve que le lien entre mort et re-naissance est complexe.

Qu'un débat de société, international, soit nécessaire est une évidence; comme en matière d'euthanasie, il ne pourra pas échapper à son inexorabilité.
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Préoccupes-toi plus de ta conscience que de ta réputation.

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