Réflexions sur la mort

Réflexions sur la mort

Messagepar Jean-Claude Carton » Dim 21 Août 2011 21:56

Extrait du livre " De la mort apparente à la Vie consciente"
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Peu d'entre-nous sont amenés par leur activité professionnelle à rencontrer aussi souvent la mort que vous l'avez fait.
Frappant tous les âges, du foetus au vieillard, en des circonstances très variées, elle vous est devenue familière.
A quelques années de prendre une retraite bien méritée, pouvez-vous nous faire partager vos réflexions sur l'impact personnel d'une telle fréquentation ?


Je ne sais pas si certaines retraites sont plus méritées que d'autres, je pense que toute carrière, quelle qu'elle soit, menée honnêtement, justifie que l'on puisse bénéficier d'un repos final, c'est une simple notion de justice sociale, et de capacité à exercer.
Par ailleurs, dans le mot lui-même, on entend «retrait», et je ne vois pas bien comment on peut se retirer d'un tel investissement au service des autres. Il s'agira donc pour ma part d'accéder à un temps de réflexion dont ce livre représente les prémisses, et qui sera consacré à l'approfondissement des pensées émises au long de ces lignes.

Ceci précisé, lorsque j'ai eu l'envie d'étudier la médecine je n'avais aucune idée de l'aventure qui m'attendait, et c'est rempli d'une innocence totale que j'ai entrepris son apprentissage. A 19 ans, on ne sait pas grand chose de la vie, encore moins de la mort, et cependant je l'avais déjà connue dans ma famille et chez mes amis, j'en ai parlé au début de cet ouvrage. C'était en ces temps une expérience superficielle, comparée à ce qui m'attendait.
Très schématiquement, on peut essayer d'expliquer l'évolution de l'expérience de la mort par le médecin comme suit.
Au fil du temps et d'une mort à l'autre, on observe une évolution de l'impact personnel que l'arrêt de la vie de l'autre va produire sur soi. Je ne ferai pas allusion à la perte d'êtres aimés, au sein de la famille ou du cercle amical. Ma réflexion restera générale, concernant les patients sans lien personnel.
Au début, le décès d'un patient est vécu assez passivement.
Qu'y puis-je se dit l'étudiant hospitalier, qui n'a pas de rôle fondamental dans les décisions thérapeutiques. De plus, sauf exception, ce n'est pas encore l'âge d'avoir réfléchi en profondeur à l'aspect psychologique ni philosophique de la question de la fin. On sort de l'adolescence, phase de la vie où la mort est l'objet d'un déni, ou tout au moins n'a pas le caractère dramatique qu'on lui connaît à l'âge adulte. On met l'accent, de nos jours, sur la «virtualisation» de la violence(donc aussi de la mort) liée à l'emploi de jeux vidéo meurtriers, aboutissant à leur banalisation. Ce phénomène de société est souvent déploré par les médias, qui eux-mêmes contribuent quotidiennement et largement à la banalisation de la mort, vidée de son sens symbolique.
Je suis persuadé qu'un adolescent rescapé de la Shoah n'avait pas la même vue sur le sujet de l'extinction de la vie, qu'un mineur en 2011. Tout est question d'implication dans le drame.
Il apparaît donc logique que la perte d'un patient presque inconnu soit pour l'étudiant en médecine juste sorti de l'adolescence quelque chose de relativement lointain au regard de sa soif d'apprentissage du métier.
Les implications changent avec l'augmentation des responsabilités diagnostiques et thérapeutiques lors de l'accès aux fonctions d'interne. En effet, à ce stade des études, l'erreur d'appréciation de l'état de gravité d'un patient reçu aux urgences, ou l'erreur de prescription, parfois aggravées par l'impression de tout savoir au sortir du «concours», peuvent être fatales. La mort du patient prend du coup une connotation différente, en tant que possible lien entre soignant et soigné, et de risque réel avec lien de causalité.
C'est l'âge d'un début de maturation des idées sur le phénomène de la mort. C'est l'âge aussi des révoltes contre le destin, et de l'accès à une remise en question de soi, des pratiques des collègues et de celles des médecins seniors.
Dans le service l'interne prend en charge le patient de son entrée à sa sortie, et c'est ainsi que vont se créer des liens d'empathie. Dans ce contexte, le décès du patient sera forcément vécu à un degré émotionnel plus élevé. Les échanges avec le personnel hospitalier et les autres médecins du service aideront notre jeune collègue à intégrer la Mort dans sa pratique professionnelle et sa vie personnelle. Les fonctions exercées dans certains services où la mort est plus fréquente (unités de soins palliatifs, réanimation,SAMU, oncologie,etc...) amèneront à une maturation plus rapide, et pour cause.
Puis viendra le temps de l'exercice de la médecine à part entière en qualité de praticien hospitalier, avec pour certains la responsabilité d'une unité, et après, pour d'autres, une chefferie de service à la clef.
L'implication auprès des patients et de leurs proches sera complète et incontournable, il ne sera plus question d'ignorer ou de fuir, ce sera parfois l'heure d'annoncer à une mère la mort de son enfant.
Je me souviens de ma première annonce. Personne ne m'avait appris à le faire. Au fond, est-ce transmissible par un enseignement théorique, ou bien seul le compagnonnage permet-il ce type d'acquis ?
Peut-être est-ce le «feeling» seul, ce que l'on nomme pompeusement l'empathie, qui m'a poussé à expliquer à un père chasseur du dimanche que sa fille de 11 ans, «porte-carnier», qu'il avait prise pour un gibier en la criblant de plombs, venait de mourir lors de son arrivée en salle de déchocage. Pas vraiment «déchocante», mon annonce...J'ai sûrement été très abrupt.
Bien d'autres horreurs suivirent, beaucoup en SMUR, en Réanimation neurochirurgicale, parfois en salle d'accouchement, au début toujours des enfants, puis ces derniers temps presque toujours des personnes âgées.
On affine sa façon d'aborder la mort et son annonce au fil du temps, cela s'appelle l'expérience.
Pourtant, on ne s'y habitue jamais.
Et maintenant, j'en viens à ressentir que l'annonce du décès de Mamie à son époux depuis 50 ans, pour différente qu'elle soit par rapport au contexte de la pédiatrie, n'est cependant pas plus facile au final. Il n'existe pas de hiérarchie dans le deuil, ce sont nos propres projections qui nous donnent l'illusion d'une différence.
Un sage a pu écrire «Un vieillard qui meurt est comme une bibliothèque qui brûle», c'est très vrai.

La circonstance où l'on se sent le plus en phase avec le patient, son entourage et l'équipe, est de mon point de vue l'accompagnement des malades en fin de vie, tout simplement parce que le temps donne de la profondeur aux liens inter-humains, la mort apparaissant alors comme un processus élaboré et non pas subi, et ce pour tous.
Toute mort subite est forcément sauvage.

Au-delà de ces considérations sur l' évolution de la qualité de prise en charge de la mort, au cours de la carrière du médecin, se pose le problème du retentissement sur la pensée même de celui-ci de sa confrontation avec ce qui peut apparaître comme le néant.
Deux domaines doivent être abordés: la maladie et la souffrance qu'elle entraîne, la mort elle-même. En terme médicaux, nous dirions la morbidité et la mortalité.

Pour ce qui est du contact permanent avec la souffrance, le médecin a une parade: l'analgésie et toutes ses techniques adjuvantes. La souffrance englobe la douleur, phénomène physique(somatique) et sa dimension morale(psychique). On peut traiter actuellement toutes les douleurs physiques,en employant toutes sortes de médications plus puissantes les unes que les autres, appliquées avec des techniques variées. Notre propos n'est pas de les détailler. La part psychogène de certaines douleurs est plus difficile à cerner et à traiter, mais il existe là aussi des modes de prise en charge pour le confort du patient.
Certaines douleurs vont pouvoir entrainer un syndrome dépressif, supprimez la douleur physique et vous supprimez la douleur morale. Plus complexe est le domaine de la psychiatrie, avec ses syndromes pouvant comporter une intense douleur morale, là aussi des traitements existent, mais ne suffisent pas toujours à venir à bout de ces souffrances, qui mèneront tôt ou tard au suicide du patient, sauf à le muter en zombie.
Je n'ai pas l'expérience de cette spécialité, aussi ne m'étendrai-je pas sur le vécu du médecin en matière de pathologie mentale.
Tout ceci pour dire que soigner des malades avec un résultat plus ou moins difficile à obtenir, n'est pas en soi très traumatisant pour le médecin quand les dits patients vont mieux ou guérissent.

Prendre en charge le patient en péril de mort imminente, ou gérer sa mort lorsque le traitement n'a pas abouti à l'effet escompté, est plus compliqué à vivre car cela met en jeu l'implication directe du médecin. C'est un mix de colère, de vexation, de frustration; une véritable remise en cause de ses propres compétences(chez les sages et les modestes!), tous sentiments qu'il est bon d'éprouver s'ils sont positivés.
L'avantage de nos spécialités purement hospitalières(publiques ou privées) est de travailler en équipe, de ne jamais être seul (sauf exception hors normes), donc de pouvoir gérer la difficulté à plusieurs, «montés en série». Mon Patron, Alain MILHAUD, nous disait toujours:«il y a plus d'intelligence dans deux cerveaux que dans un seul», j'applique très souvent ce conseil. J'ajouterai qu'en plus il n'y a aucune honte à le faire.
La nature, dans sa sagesse, sait nous rappeler à la modestie. En effet, l'expérience nous apprend au fil des années, que l'on ne peut pas réanimer avec un pourcentage de réussite de 100%.

Que tirer de toutes ces années à «copiner» avec la mort ?

-Tout d'abord à respecter l'ordre des choses avec cette modestie que les «grands», les vrais, affichent dans leur comportement professionnel, et qui doivent nous servir de modèles.
-Ensuite, quel que soit notre rang dans la virtualité des hiérarchies, rester à l'écoute des patients, en prise directe avec eux et leur entourage.
-Considérer celles et ceux qui nous confient leur santé et leur vie, comme des entités à la fois physiques et psychiques, qui évoluent dans un environnement socio-culturel et écologique.
Nous ne pouvons pas éluder le fait que nous vivons dans un univers clos et symbiotique.
-Respecter le principe d'égalité.
-Cultiver la vérité et la dire, c'est cela être honnête.
-Faire régner la dignité, et se battre pour son respect.
-Aimer la Vie.
La dernière leçon tirée de l'écoute des patients en général, des mourants en particulier, est de considérer ceux-ci comme un tout reposant sur une trilogie: un corps, un psychisme et une spiritualité. Cette loi ternaire suit d'ailleurs l'évolution en général, dans sa dimension darwinienne, mais aussi toutes les autres évolutions. J'évoquais précédemment le déplacement progressif des préoccupations, de l'étudiant au maître, concernant la vision de la mort, et on peut remarquer qu'il suit la gradation soma/psyché/spiritualité. On doit, en médecine comme dans d'autres domaines ayant rapport à l'être, investir d'abord l'aspect anatomo-physiologique afin de maîtriser les outils du soin, puis on peut se permettre ensuite de porter attention à la psyché et d'intégrer les deux dans un tout indissociable. Si on en arrive là après quelques années, c' est déjà pas mal, car tous n'y parviennent pas, beaucoup trop restant dans une pratique morcelée, donc incomplète et tronquée. Ensuite, et c'est là que l'interrogation face à la mort prend toute sa dimension, il faudra boucler la trilogie: pourquoi ?


Quel est le sens de la VIE ?

C'est bien ça que le patient se pose comme question dès l'instant où sa bonne santé vacille. Et l'idée de mourir peut-être, de souffrir avant d'y arriver, va éveiller le questionnement ontologique fondamental, qu'il va falloir discerner au milieu des banalités des échanges habituels. La question est rarement directe, sauf souvent chez l'enfant: «est-ce que je vais mourir?,
c'est comment la mort? Qu'est-ce qu'on devient après?»
Cette question du devenir est indépendante de l'existence ou de l'absence des convictions religieuses. On pourrait même dire cyniquement, que les fidèles à tel ou tel mouvement religieux ne devraient pas se poser la question puisqu'ils ont foi en des dogmes acceptés; les plus angoissés seraient alors les athées? L'expérience prouve qu'il n'en est rien. Baptisé ou non, tout être humain porte en lui le questionnement de l'après et du sens du maintenant. Il nous faut intégrer cette dimension dans notre prise en charge de la vie à la mort.

Comment tout soignant en vient-il un jour à s'interroger sur l'hypothèse d'un continuum de la conscience après la mort ?

Au gré des naissances, au fil des morts, tous ceux qui travaillent dans le soin aux patients, vous relateront des histoires tantôt terribles, tantôt belles. Si vous avez leur confiance, ils vous conteront des choses étranges, parfois dérangeantes pour un esprit cartésien. Si vous les accueillez sans a priori ni jugement, ils vous raconteront ces histoires vécues auprès des mourants ou des comateux.
Ces histoires vécues par nos patients, il faut les écouter, car elles font partie d'eux-mêmes et de leur Vie.

Les EMI, parfois empathiques, font partie de ces récits.

La plupart d'entre-nous, anesthésistes-réanimateurs, ainsi que nos collègues para-médicaux, ou soignants des unités de soins palliatifs, vivent ces phénomènes étranges car inexpliqués. Peu osent en parler spontanément, de crainte d'être taxés de «fous». Très peu ont le culot d'essayer d'étudier ces expériences inhabituelles de la conscience sous l'angle scientifique. Je fais partie de ce noyau qui ne craint pas de secouer les paradigmes et de s'exposer. A quelques années de la retraite, vierge de tout antécédent psychiatrique, exempt de la moindre remarque ordinale, soutenu par mes collègues et mon chef d'établissement, j'ai entrepris de travailler sur la phénoménologie des Expériences Inhabituelles de la Conscience(EIC) observées en anesthésie-réanimation, ainsi que chez les patients proches de la mort. Cette recherche s'inscrit dans les missions du Centre National d'Etude, de Recherche et d'Information sur la Conscience (http://www.cneric.fr), que je préside actuellement.

Que suggèrent toutes ces EMI, et toutes les autres EIC, dont on ne peut nier l'existence réelle chez autant de patients divers?

Pour l'instant, pas qu'il existe une vie après la mort, au sens où on l'imagine habituellement. Pas plus que les sujets en arrêt circulatoire cérébral bref et réversible, n'ont plus du tout d'activité cellulaire cérébrale. Celle-ci, indétectable avec des moyens aussi grossiers que l'Electro-Encéphalogramme(EEG), peut persister a minima, pourvu que le sujet soit correctement oxygéné, ce qui ne signifie pas mort cérébrale(celle-ci est un phénomène irréversible, dont personne ne revient).
On convient néanmoins que ces sujets sont en état de stress cellulaire intense, stress qui peut atteindre des sujets en état de conscience modifié, sans défaillance cardio-respiratoire, qui décrivent aussi des EIC identiques aux EMI dans leur rendu sujectif.
Il est donc imaginable, et c'est là une hypothèse formulée par les physiciens, que la conscience puisse fonctionner en utilisant des champs informationnels «extra-corporels».
Ceci expliquerait des phénomènes aussi variés que les EMI, la télépathie, les EMI empathiques, etc...
Voilà à quelles réflexions 36 ans d'anesthésie-réanimation et de prise en charge de patients proches de la mort m'ont amené.
Et pourquoi pas, dans ce contexte, l'existence d'une forme de «Vie» après la mort corporelle?
"Ne change pas ta nature si quelqu'un te fait mal, prend juste des précautions.
Préoccupes-toi plus de ta conscience que de ta réputation.

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Jean-Claude Carton
 
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