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Psychoses et NDE

MessagePublié: Mar 23 Août 2011 20:04
par Jean-Claude Carton
Extrait du livre " De la mort apparente à la Vie consciente"

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Il est tentant d'assimiler les EMI à des épisodes délirants, et de traiter les expérienceurs de fous.
La compréhension des mécanismes en jeu dans les EMI pourrait-elle contribuer à la connaissance des pathologies psychiatriques ?



En préambule de ce livre, j'ai fait une allusion à mon orientation vers l'anesthésie plutôt que la psychiatrie, le jour du choix des spécialités.
Finalement, j'y reviens par un chemin détourné et plusieurs portes se sont entr'ouvertes qui m'ont permis d'y jeter un regard.
S'intéresser aux EMI impose de se poser des questions sur la Psyché et ses désordres. Répondre à ces questions peut permettre d'éclairer la phénoménologie des maladies mentales.

Ma première expérience avec les patients psychiatriques a vu le jour avec le développement des cures de sismothérapie au Centre Hospitalier Philippe PINEL d'Amiens, à la fin des années 80. Ce que l'on nomme vulgairement «électrochocs» consiste à envoyer un courant électrique transcérébral dans le but de déclencher une crise d'épilepsie chez le patient. Les psychiatres avaient depuis longtemps observé que chez les malades atteints de certaines affections mentales et épileptiques, les crises comitiales amélioraient l'humeur de ceux-ci après leur survenue. L'ancêtre de l'actuel appareil de sismothérapie, s'appelait le «sistonothère des Docteurs LAPIPE & RONDEPIERRE» et semblait sorti d'un roman noir du XIXème siècle. Un nom pareil n'aurait pas pu s'inventer! Avant l'apparition de cette technique, les psychiatres pratiquaient la cure de SAKEL, qui consistait à injecter de fortes doses d'insuline, responsables d'une hypoglycémie profonde avec état de mal convulsif. Inutile de préciser que plus d'un patient en a fait les frais à l'époque (de 1930 au début des années 60), l'hypoglycémie profonde pouvant être mortelle en l'absence de gestes de réanimation adaptés.
Je n'ai pas connu l'époque de cette thérapie méta(ou dia)bolique.
Par contre, comme il fallait une anesthésie générale pour les «chocs électriques» et qu'il ne fallait pas sortir les patients de leur milieu, il avait été convenu que les 12 séances de chaque série(1 tous les 2 jours) seraient réalisées dans les murs de l'H.P.P., distant du CHU de 5 à 7 Km.
Nous avions même conçu un équipement digne d'une station d'anesthésie de bloc opératoire, et le seul médecin anesthésiste volontaire du Département d'Anesthésiologie fut J-P P. A 30 ans on est encore «casse-cou»...

Aucun des nombreux patients, traités durant une dizaine d'années par cette technique semblant surgie d'un autre âge n'eut d'accident périanesthésique. Cependant trois anecdotes méritent d'être relatées.
La première concerne une vieille schizophrène, qui avait décrété que j'étais son père et m'embrassait avant la prise d'accès veineux, en m'appelant «Papa»! avec une voix sortie d'un dessin animé. Ma seule attitude était de ne pas la contredire, car elle aurait refusé la séance. A chacun ses rituels. C'est une des seules patientes qui furent nettement améliorées par la sismothérapie, à deux reprises en plusieurs années. J'ai encore en tête l'image de cette mamie qui faisait tant pitié et forçait l'empathie.
La seconde fut l'histoire du «dentier rédempteur» chez une mélancolique grave. Je m'explique. Pour éviter le risque de ruptures de tendons lors de la crise convulsive et de morsure de langue ou de sonde, nous «curarisions» ces patients et leur placions une canule rigide dans la bouche. Ce jour-là, le curare ne procura pas l'effet escompté, et la morsure de la canule se traduisit par un horizontalisation immédiate des quatre incisives de la dame. J'avais l'air bête, mais elle aussi. La suite fut une série de soins dentaires avec pose de prothèse fixe, qui se traduisirent par un soudain intérêt de la patiente pour ses problèmes somatiques, une sorte de rédemption avec ré-investissement de son corps. Les psychiatres étaient satisfaits, et la dame n'était plus mélancolique!
La dernière histoire marqua pour moi la fin de la participation volontaire aux sismothérapies. Dix années, c'était beaucoup pour un seul anesthésiste.
Germaine, nous l'appellerons ainsi, était une patiente mélancolique grave, avec refus de tout traitement et début de refus alimentaire.
Au petit matin, les infirmiers amenaient (ou plutôt traînaient) Germaine, l'allongeaient sur le brancard, je prenais l'accès veineux, l'endormais, le psychiatre appuyait sur le bouton et Germaine convulsait. La onzième fois, Germaine s'allongea sur le brancard, et au moment où j'allais ponctionner sa veine, quitta sa torpeur habituelle, se mit à hurler:«Tuez-moi! Tuez-moi! Je n'en peux plus! Réussissez-moi cette fois-ci!...»
Mes deux collègues psychiatres présents se réjouissaient d'une capacité à l'auto-agressivité: «Elle veut mourir! Elle n'est plus mélancolique! Elle est sur le chemin de la guérison!».
J'ai jeté mes seringues à la poubelle, Germaine n'a pas eu sa onzième torture, je ne sais toujours pas 20 ans plus tard où se terrait la folie ce jour-là. Jamais, depuis, je n'ai participé à une sismothérapie.

Le malade mental, comme le malade somatique, est lui aussi saucissonné, trop souvent considéré par le petit bout de la lorgnette. La DSM4* permet de catégoriser les troubles, de faire un fastidieux travail d'étiquetage du malade, dont il sera difficile de le faire sortir. D'ailleurs peut-on sortir un jour de la folie?
La meilleure façon d'en sortir serait-elle de ne jamais y entrer?
Henry HEY, maître incontesté de la Psychiatrie, a défini la psychose comme «une modification radicale du sujet face à la réalité».
Combien de patients chroniques de nos hôpitaux psychiatriques méritaient-ils d'y entrer, faute d'alternative thérapeutique?
La psychiatrie moléculaire, contrairement à la cuisine du même nom, est-elle la seule voie de progrès? Permettez-moi d'en douter. Un systême de neuro-transmetteurs bloqué par des neurotropes et s'étant habitué à leur action pourra-t-il un jour retrouver une autonomie?
Doit-on considérer que le «lambeau de lucidité» de Germaine, au milieu de son univers psychotique est une chance pour elle, la preuve d'une guérison possible? Ou bien n'est-ce que le soubressaut final d'une souffrance intériorisée et presque vitrifiée,tendue vers le néant?
Tout est question d'interprétation. Les querelles d'experts, dans des histoires récentes mettant en scène des malades mentaux, en sont la preuve.
Comment en quelques minutes, de temps en temps, peut-on prétendre analyser et comprendre tout le fonctionnement de la pensée d'un être, dont on ignore le vécu antérieur, les avatars, le contexte environnemental tant au plan matériel que psycho-affectif, et le cheminement spirituel?


Avant d'être médecin, j'ai fait des études dans le domaine de l'éthologie animale, plus précisément sur les reptiles de la faune française. Ce fut mon hobby durant des années. A l'observation de ces animaux fascinants dans la nature et en captivité, j'ai appris un grand principe: on ne peut rien conclure sur le comportement d'un animal en liberté à partir de son observation en terrarium, aussi confortable soit-il.
Il en est de même en médecine: le premier principe est d'aborder le sujet dans son environnement, tenant compte de son écologie; le second est de mener l'anamnèse dans la globalité du patient, à la fois soma, psyché et spiritualité. C'est le prix à payer pour approcher le plus possible de la réalité, sinon de la vérité. C'est difficile, cela prend du temps, et il faut s'investir puissamment soi-même, on en revient toujours à l'empathie.

L'expérience relatée par des patients que l'on nomme NDE ou EMI, est-elle à ranger dans le domaine de la normalité ou au contraire ressort-elle de la pathologie(mentale, puisqu'il s'agit d'une expérience subjective des capacités cérébrales)?
En termes plus crus, relater une EMI expose-t-il à être taxé de fou? Pourquoi et par qui? Les expérienceurs ne s'y trompent pas, quand ils choisissent de se taire.

Un exemple de cette difficulté est l'étude de la prise en charge des psychotiques chez les Indiens LAKOTA, qui a donné lieu à un article passionnant de L. GRUEL & S. MOIROUX.
Le problème est lié à la conception de la spiritualité chez les Lakotas, très différente de celle des américains «modernes».
Ils ont une conception très holistique du monde, et très circulaire aussi. Chez eux le physique, le spirituel, l'émotionnel et l'intellectuel sont intriqués. Le monde visible et invisible se côtoient et l'expérience mystique prend une place importante dans leur vie. Du coup il a été très difficile de conceptualiser la part qui revient au pathologique dans l'expression de leur univers psycho-spirituel. Une version adaptée de la DSM4** a été élaborée et adaptée à leur groupe ethnique, pour la prise en charge des psychotiques.
Des constatations du même ordre ont été relevées chez les INUITS, par L. KIMAYER & Coll. La Science, en l' occurrence la bio-psychiatrie, n'envisage que le déterminisme biologique à l'origine des troubles et exclut les réalités invisibles en réorganisant les perceptions. Le surnaturel étant banni, c'est forcément une cause endogène qui intervient: biologique, psychologique ou psycho-génétique. Seule la psychanalyse permet une prise en considération de l'invisible à travers la notion d'inconscient. Les mêmes difficultés conceptuelles émergent dans le peuple Inuit, comme chez les Lakotas.

On pourrait facilement utiliser la DSM4 pour caractériser certains sujets qui racontent leur EMI et les conséquences qu'elle entraine dans leur vie quotidienne. Expérience réellement vécue ou bien rêve mystique suivi de troubles comportementaux et/ou conceptuels?
Une des personnes que j'ai pu suivre en consultation, qui a vécu une EMI pendant un coma par traumatisme crânio-facial, a attendu 30 ans pour la raconter à un professionnel. Entre-temps, elle a été mise au ban de sa famille, considérée comme folle, même encore actuellement. Que serait-il advenu si elle avait raconté son histoire à un psychiatre moléculaire?

Alors, il est certain que la progression des connaissances en matière d'EMI, ou autres expériences inhabituelles de la conscience, pourra éclairer d'un jour nouveau la phénoménologie des désordres mentaux rencontrés en psychiatrie, notamment dans les psychoses hallucinatoires.

Au médecin de ne pas classer avant d'avoir écouté attentivement et sans rire. Neutralité bienveillante oblige.
Un fou américain moderne ne serait pas forcément fou pour un indien Lakota.

«Ce ne sont pas les mots et les idées qui sont morbides, mais le mécanisme qui les rassemble et les impose»
(G. de CLERAMBAULT).


*DSM4 ou IV : il s'agit d'un manuel diagnostique et thérapeutique des troubles mentaux, appliqués de façon internationale. Il est issu de Association Psychiatrique Américaine, et apparaît comme la référence. La dernière édition date de 1994.
Une révision(DSM-IV-TR) a été éditée en 2000.
Son principe n'est pas de classer des patients par catégorie, mais bien leurs désordres. Enfin il permet d'employer un langage professionnel commun.

**le DSM4 «Lakota» a été mis au point pour usage interne à ce peuple, tenant compte des différences conceptuelles entre tradition indienne et vision occidentale.