La Vie, la mort, mais à quel prix ?

La Vie, la mort, mais à quel prix ?

Messagepar Jean-Claude Carton » Dim 11 Sep 2011 23:28

Extrait du livre " De la mort apparente à la vie consciente; co-écrit avec le docteur Jean-Pierre Postel"

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La Vie, la mort, mais à quel prix ?

Maintenir la vie, faire reculer la mort, sont les deux grandes missions dévolues aux médecins et à tout le service de santé, dans nos sociétés. Le fantasme d'immortalité a déjà été évoqué, et fait les choux gras de tout un pan de l'économie autour de techniques de rajeunissement, de produits divers, de médicaments même, parfois dévoyés de leur indication initiale.
Il est vrai que l'espérance de vie s'est considérablement accrue au XXème siècle, et ce grâce aux progrès de la médecine et des technologies, nul ne saurait s'en plaindre.
Cependant, une condition du recul de la mort est de faire progresser la vie dans sa qualité plus encore que dans sa durée.
Vivre pleinement suppose de pouvoir le faire dans un contexte de liberté, de dignité et de bien-être physique et mental.
Le patient a trop longtemps été morcelé, à en oublier sa globalité. On a séparé la médecine du corps(somatique) et celle de l'esprit (psychiatrie). Dans chacune de ces catégories, on a encore découpé, "débité" pour reprendre un terme de boucherie charcuterie, pour en arriver à l'existence de spécialistes de la chirurgie des orteils, des circuits neuronaux du système limbique, ou des mitochondries des cellules souches...
Tout ceci est très bien, et les progrès qui s'en suivent sont bien dûs en grande partie à cette finesse de plus en plus aiguisée. Mais attention, derrière les organites cellulaires se cachent des patients, ces êtres humains qui vivent, rient, pleurent.
Qui sont les plus schizophrènes, les patients atteints de cette maladie, ou bien les praticiens qui s'extasient sur la beauté d'une tumeur encore jamais répertoriée, à travers l'objectif de leur microscope ?
Je me veux provocateur, car me remontent en mémoire des situations caricaturales de cette perte de sens commun, que je ne livrerai pas ici, tout le monde en connaît ou même en a vécu.

Et le patient dans tout çà ?

Le patient ne maîtrise pas forcément tous les éléments de sa propre vie, et même si l'on se réfugie derrière un consentement éclairé pour des raisons juridiques, on n'est jamais certain qu'il a tout compris. Et quand il est non-communicant ou bien inapte à consentir, les choses se corsent.
C'est ce qui arrive à certains malchanceux qui se retrouvent malgré eux dans des situations où ils n'ont plus possibilité de choisir, les seuls pouvant le faire pour eux étant des proches qui, même bien informés, sont contraints à des choix qui ne leur appartiennent que par délégation ou simple substitution légale.
Or, choisir pour un autre est toujours empreint de subjectivité et l'affectif vient parasiter la décision.
C'est là que doivent intervenir des professionnels performants, travaillant en équipe, et c'est tout un travail en réseau, quelle que soit la dimension du réseau, qui s'impose. Ceci s'appelle l'aide à la décision et s'inscrit dans l'accompagnement dû au patient et à sa famille.
Pour concrétiser mon propos, je prendrai l'exemple d'un nouveau-né prématuré hospitalisé en service de réanimation néo-natale et présentant des lésions cérébrales post-hémorragiques graves. Il n'est plus dépendant de la ventilation artificielle. Il vit tout seul. A un moment donné, se pose le problème de faire face à une surinfection bronchique grave qui nécessite de le replacer sous respiration artificielle. L'examen neurologique fait apparaître des déficits importants, compatibles avec une survie somatique, mais cognitivo-comportementale très altérée. Que faut-il faire ?
Le réintuber, ou le laisser partir en paix ?
Il va de soi que la notion d'information claire et précise des parents doit être parfaite. Leur choix doit être respecté. Mais croyez-vous vraiment que cette décision soit réellement libre? Par sa position et ses compétences le médecin peut
objectivement faire le choix de ne pas laisser vivre ce futur "encéphalopathe profond", en toute connaissance de cause(souffrances, coût affectif et financier), mais ces parents en détresse peuvent-ils réellement le faire sans une charge de culpabilité massive, que les étais psychologiques seront peut-être impuissants à apaiser ?
Si les convictions philosophico-religieuses des parents de cet enfant les poussent à souhaiter le maintien de la vie, il s'agit d'une situation moins complexe à gérer pour tous. J'ai connu de telles familles qui forcent l'admiration, mais il faudra un jour avoir le courage de mener un débat de fond sur l'euthanasie dans notre société française, en complément des lois de Février 2006, pour toutes ces situations qui concernent non seulement la santé, mais aussi l'économie du pays. Notre luxe technologique ne doit pas occulter des situations sanitaires que l'on règlerait à moindre frais, pour des patients en grande précarité.
Le progrès nous a permis de maintenir en vie les très grands prématurés, inférieurs à 26 semaines de vie intra-utérine. Il faut savoir que nombre d'entre ces enfants seront des handicapés lourdement atteints toute leur vie. Des garde-fous sont
nécessaires pour une euthanasie trop facile, il en faut aussi pour les médecins trop activistes. Connaissant très bien cette spécialité, je suis plutôt confiant en mes confrères, mais on ne fera pas encore longtemps l'économie d'un débat de société en profondeur, en France, sur ces aspects fondamentaux de la Vie et avec tous les acteurs de la vie sociale, les usagers en premier *. Le problème est légèrement différent pour ce qui est du droit à une mort librement consentie et souhaitée, par des personnes adultes, souvent même âgées, porteuses de pathologies incompatibles avec leur conception de la dignité. Je suis philosophiquement convaincu qu'en matière de législation nous devrions accéder au modèle d'autres pays d'Europe. Le débat sur cette question fait trop souvent intervenir des orateurs qui n'ont jamais eu à faire à la mort dans ces états de décrépitude et de souffrance, et qui n'ont jamais mis les pieds dans les lieux de soins.
Des stages hospitaliers seraient à organiser, obligatoires, auprès des mourants, et dans les services de réanimation, pour certains de ces débatteurs de la médecine-fiction qui n'ont de la mort qu'une approche purement livresque**.

*Les Réseaux de soins en périnatalogie permettent la mise en contact de spécialistes de toute nature, qui travaillent sur ces sujets d'actualité.
Membre du comité médical du RéseauPérinatAquitaine, je peux témoigner de l'implication très forte des professionnels de santé de la périnatalogie, mais aussi de groupes de travail associant également des usagers, des éthiciens et même une
philosophe. C'est à travers ce modèle de coopération que l'on peut dégager des lignes de bonnes pratiques, voire de proposer aux Agences Régionales de Santé des innovations.
C'est peut-être grâce aux différents réseaux régionaux et nationaux, que pourra se dégager une réflexion pondérée sur les grands enjeux sanitaires de société.
**Un peu d'humour ne nuit pas au sérieux du problème.
"Ne change pas ta nature si quelqu'un te fait mal, prend juste des précautions.
Préoccupes-toi plus de ta conscience que de ta réputation.

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