Dr Marc GIRARD
Conseil en pharmacovigilance et pharmacoépidémiologie
Expert européen (AEXEA)
76 route de Paris, 78760 Jouars-Pontchartrain (agosgirard@free.fr)
Site : http://www.rolandsimion.org
Avant toute chose, il convient de remarquer que par rapport à la menace d’une réquisition, la résistance a d’autant plus de chances d’être efficace qu’elle sera collective. Sanction de son improvisation : le gouvernement n’a cessé de reculer (on vient encore de le voir avec l’abandon d’un projet de vaccination obligatoire dans la gendarmerie), et il ne prendra pas le risque d’affronter publiquement une opposition organisée et, surtout, motivée.
Le second point, c’est qu’en aucun cas, semblable réquisition ne peut s’accompagner d’une vaccination obligatoire : actuellement en France, il n’y a aucune obligation vaccinale contre la grippe "porcine". Il s’agit donc de refuser tout net les pressions en ce sens.
D’un point de vue pratique, toute réquisition doit être confirmée par écrit (CSMF). Ce prérequis ouvre déjà un vaste champ de réaction car, compte tenu de la désorganisation actuelle de la Poste :
· une lettre peut toujours n’être pas arrivée à destination (récemment, un de
mes correspondants, habitant à 500 km de chez moi, a vu un de mes courriers
lui parvenir - après un délai certain - après passage par le Laos...) ;
· un professionnel de santé surchargé peut toujours renoncer à faire une heure
de queue au bureau de poste du coin pour aller retirer un recommandé.
Ainsi, s’autoriser du désordre actuel de la Poste pour ne pas se soumettre à un ordre de réquisition sera doublement moral, car il s’agira :
1. de résister au comportement honteux d’un gouvernement s’appliquant à soumettre le peuple français aux desiderata des lobbies pharmaceutiques ;
2. de renvoyer le gouvernement à ses contradictions : à l’échelle d’un pays, c’est difficile de prétendre organiser quoi que ce soit dans l’urgence quand on s’est appliqué à en désorganiser les services postaux...
La maladie, d’autre part, réalise une condition de force majeure permettant de ne pas se soumettre à la réquisition :
· par les temps qui courent, nul ne peut contester à quiconque le droit à une bonne gastro-entérite virale ou à une intoxication alimentaire ;
· il suffira d’appliquer les critères hautement discriminatifs qui ont permis aux autorités sanitaires d’accréditer l’existence d’une pandémie (fièvre à 38°C, un peu de toux) pour s’autodiagnostiquer une grippe porcine et justifier les mesures d’isolement qui en découlent (Madame Bachelot ne pouvant, alors, que se féliciter de voir les contrevenants contribuer à crédibiliser le mythe d’une pandémie en constante croissance - auquel est s’est tellement consacrée...) ;
· les professionnels retraités pourront également invoquer la fatigue liée à l’âge, les rhumatismes, etc.
L’incompétence technique est également un motif suffisant pour ne pas déférer à une réquisition. Ainsi, il peut être pertinent, en certaines circonstances, d’invoquer un manque de pratique en matière d’injections vaccinales ; ce, d’autant la reconstitution d’unités individuelles à partir de flacons multi-doses impose quand même un minimum de savoir-faire pour garantir l’asepsie des injections.
Mais surtout, il convient de poser en préalable incontournable qu’un professionnel de santé est requis pour mettre sa compétence au service de la collectivité, et non pour faire de l’abattage : c’est bien à lui qu’il revient, au cas par cas, d’évaluer précisément le bénéfice et les risques des actes médicaux qu’il va exécuter.
· En se référant au communiqué du Ministère de la santé (Communiqué Kouchner), les sujets réquisitionnés pourront arguer avec raison que ne satisfaisant pas les conditions d’un « acte médical à part entière » (incluant, notamment, une évaluation personnalisée de chaque personne), la vaccination improvisée à laquelle on prétend les forcer ne relève pas de leur pratique
habituelle : on n’est pas réquisitionné pour faire de la sous-médecine.
· De plus et compte tenu des contradictions patentes1 – voire des mensonges caractérisés2 – des autorités de santé sur la conformité des vaccins antigrippe A et les risques de la pandémie, les professionnels de santé pourront également arguer qu’il ne leur est actuellement pas possible de satisfaire à leur obligation préalable d’information loyale et
personnalisée à l’égard des personnes à vacciner. Cette nécessaire information est encore compromise par le fait que, dans les conditions organisées par le Ministère, il ne sera pas possible aux gens de consulter ou de conserver la notice du produit auquel on prétend les exposer : si les autorités ont fait confectionner des flacons multi-doses, rien ne les empêchait de les assortir du nombre correspondant de notices destinées aux patients.
· Argument proche : l’Agence européenne du médicament (EMEA) ayant formellement admis que les données d’efficacité et de tolérance pour ces vaccins n’étaient pas complètes, tout praticien pourra soutenir avec raison que
l’évaluation individualisée du rapport bénéfice/risque de ce vaccin relève d’une compétence pharmaco-épidémiologique très spécifique et qui n’est pas la sienne.
1 Par exemple, lorsque les responsables affirment, au gré des circonstances, que le nouveau virus est tantôt « comme les autres », tantôt dangereusement « nouveau ». Ou encore lorsqu’ils s’emmêlent les pinceaux sur le nombre d’injections à administrer. Ou enfin lorsqu’ils présentent des chiffres sortis d’on ne sait où après avoir officiellement assumé de ne plus dénombrer les cas (Les perles).
2 Lorsqu’on apprend rétrospectivement qu’au plus fort de l’alarmisme ayant conduit à justifier qu’on n’allait plus compter les cas (juin 2009), pas plus de 5% des personnes réputées avoir une grippe porcine n’en étaient effectivement atteintes. Ou encore, lorsque le Ministre et son directeur de la DGS (c.-à-d. les deux principaux responsables sanitaires français) affirment sans rougir que les vaccins antigrippaux ont été développés et autorisés dans des conditions absolument standard, quand l’agence européenne affirme textuellement le contraire (« circonstances exceptionnelles ») (Les
perles).
D’un point de vue plus juridique, en vertu d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat (CSMF), trois circonstances doivent être réunies pour que le recours à la réquisition soit jugé légal :
1. l’existence d’un risque grave pour la santé publique ;
2. l’existence d’une situation d’urgence ;
3. l’impossibilité pour l’administration de faire face à ce risque en utilisant
d’autres moyens.
Or :
· on dispose désormais des données de l’hémisphère sud qui, en fin de saison grippale, confirment que la morbi-mortalité grippale de cette année a été plutôt moins grave que les précédentes ;
· parfaitement en phase avec l’analyse de certains experts (suivez mon
regard…), ce bilan rassurant achève de réfuter la réalité d’une « urgence » ;
· compte tenu des incertitudes avouées sur le bénéfice du vaccin, l’administration n’a nullement démontré qu’il serait impossible de faire face à une épidémie grippale par d’autres moyens : on relève d’ailleurs que nombre
d’instances professionnelles ont publiquement protesté de voir cette campagne vaccinale opérée en dehors du circuit normal de médecine générale – dont on ne voit nullement pourquoi il ne pourrait faire face à une exigence de vaccination qui, pour l’instant, concerne moins de 20% des Français.
C’est par rapport à ces arguments juridiques que l’action collective serait la plus
appropriée : il serait particulièrement utile que des syndicats défèrent pour illégalité
l’arrêté de réquisition devant le Tribunal administratif.
Compte tenu des conditions d’illégalité manifeste dans lesquelles les décisions du gouvernement ont été prises (notamment en ce qui concerne la dissimulation des liens d’intérêts des experts qui ont pris part aux délibérations et à l’information des
professionnels comme du public), ils importe aussi que, par delà les professionnels de santé réquisitionnés, les citoyens dans leur ensemble prennent la mesure du scandale : si l’on savait déjà que les commerciaux de l’industrie pharmaceutique
avaient pu circonvenir les experts de l’OMS pour accréditer l’hépatite B comme risque grave pour la santé publique3, si j’ai publiquement dénoncé l’incapacité récurrente des autorités sanitaires à assurer son rôle de protection des citoyens par rapport au légitime souci de rentabilité de quelque secteur industriel que ce soit, c’est sans doute la première fois que la force publique se trouve requise – et avec quelle brutalité4 ! – afin d’assurer le succès d’un marketing
3 « L’habile stratégie d’un labo », Science et Avenir, janvier 1997, n° 599, p. 27
4 Amende jusqu’à 7500 €, assortie éventuellement de peines de prison.
Il est sidérant que la force publique se trouve ainsi requise pourassurer l’écoulement de stocks vaccinaux constitués au terme d’un processus décisionnel atterrant, où il est difficile de faire la part entre l’incompétence d’une part, la corruption d’autre part.
En foi de quoi, tout mouvement collectif visant à obtenir l’annulation de cet arrêté, mais également tout professionnel de santé menacé de représailles judiciaires, peuvent compter sur mon indéfectible soutien pour les aider à organiser
l’argumentation technico-scientifique justifiant une position de résistance.
Jouars-Pontchartrain, le 11/11/09