De la mort apparente à la Vie consciente

De la mort apparente à la Vie consciente

Messagepar Jean-Claude Carton » Lun 20 Juin 2011 01:20

Un chapitre du livre "De la mort apparente à la Vie consciente" co-écrit avec un ami médecin anesthésiste réanimateur

Question
Le décès d'un patient qui a déjà parcouru un chemin de vie, aussi triste soit-il pour son entourage, me semble différent du deuil qui doit s'élaborer autour de la perte d'un enfant ou d'un nouveau-né. Quelles sont vos réflexions sur cet aspect particulier de la mort ?

Réponse
La mort d'un enfant est toujours vécue comme un drame contre nature, que ce soit du côté des parents et de la famille, mais aussi de celui des soignants. La disparition d'une personne âgée n'a pas la même connotation affective, même s'il est vrai que le poète a pu dire qu'à chaque vieillard qui meurt c'est une bibliothèque qui brûle. Mourir âgé appartient à l'ordre des choses, mourir jeune ou très jeune fait partie des obscénités apparentes de la vie. Loin de moi l'intention d'établir un score de pénibilité du deuil, une échelle d'évaluation de la douleur morale en fonction de l'âge du défunt, il n'existe aucune légitimité à se targuer d'un tel pouvoir de jugement. La perte d'un proche est toujours une déchirure. Néanmoins, il n'en reste pas moins vrai que le contexte pédiatrique constitue un domaine à part de la thanatologie.
Freud décrit le deuil comme " une énigme, un phénomène que l'on ne tire pas au clair et qui ramène à des choses obscures" (in Deuil & mélancolie) et cette définition générale ne comporte pas de rapport à l'âge du mort.
Quels sont les éléments qui vont concourir à accentuer la douleur des parents d'un enfant décédé ? La réponse est plurielle, et je me contenterai de quelques réflexions personnelles issues de mon expérience de clinicien et des circonstances de ma propre vie. Je n'ai pas l'acuité d'un professionnel de la Psyché et même si je partage ma vie avec une spécialiste de la parentalité et du deuil périnatal, je n'ai pas qualification à vous livrer de la psycho-pathologie de haut niveau. Ma seule compétence réelle en la matière est liée à l'expérience de la mort de mon fils ainé Pierre-François, ainsi qu'à la presque mort à trois reprises de Simon, mon "petit dernier" lorsqu'il luttait pour la vie au fond de sa couveuse de réa. Ceci peut légitimer "l'avis d'un utilisateur" en sus de celui d'un médecin.
Les circonstances et l'âge vont, indépendamment du profil psychologique des parents (dans "parents", j'inclue la famille et les proches), jouer un rôle dans le drame.
C'est ainsi que j'exprimerai mon point de vue sur plusieurs circonstances de mort d'enfants: la maladie chronique, l'accident, le suicide et la mort foetale (à la naissance ou in-utero). Je laissera de côté la mort attendue d'un nouveau-né porteur de malformation létale, ainsi que l'interruption volontaire de grossesse ( la mort y siégeant sur un mode particulier, qui sort de notre propos).
J'ai très souvent rencontré la mort accidentelle à travers mon expérience car il ne se passait pas une semaine au CHU d'Amiens sans que nous ayons à prendre en charge un traumatisé crânien grave ou un jeune polytraumatisé; enfants renversés par une voiture, chutes diverses, noyades, brûlés, tous avaient le goût amer de l'évitable, de l'échec de la prévention, mêlé d'une charge de culpabilité des adultes. L'accident, bien que souvent inévitable est vécu par les protagonistes comme une faute: faute d'inattention des parents, faute de conduite de l'automobiliste. "C'est ma faute,
j'aurais dû le tenir par la main...,"j'aurais dû freiner plus vite...", etc.
L'élaboration du travail de deuil sera dans ces conditions compliqué par la soif de réparation et la rancoeur, justifiée ou simplement réactionnelle et ressentie.
L'âge intervient pour beaucoup dans la monstruosité perçue de la mort. Il est inimaginable et hors norme qu'un être puisse disparaître à l'aube de sa vie. C'est une injustice, une négation de la logique temporelle. Ceci est encore plus aigu dans nos
sociétés à niveau de vie élevé, lesquelles ont vu s'effondrer en quelques siècles la mortalité infantile qui force à un certain fatalisme lorsqu'elle est monnaie courante.
La mort par accident frappe comme l'éclair dans un ciel bleu, se démarquant de la mort par maladie chronique qui, bien qu'elle reste contre nature chez le jeune, laisse aux parents le temps d'élaborer un travail de deuil. La disparition accidentelle ne laisse pas de temps à l'approche eschatologique, c'est toujours un traumatisme explosif, une douleur sidérante, qui anéantit les survivants.
L'annonce du décès ou de la mort cérébrale par le médecin requiert encore plus de professionnalisme de sa part, car tout se déroule dans l'urgence. C'est le travail de toute une équipe, qui suppose l'implication de tous, chacun dans son rôle, et sans
fausse note. Ceci ne s'apprend pas sur les bancs des amphithéâtres, c'est de la pratique et du compagnonnage que naît la compétence en ce domaine.
Une excellente école pour ce faire est la participation à l'activité de prélèvements d'organes, et c'est personnellement par cette voie que j'ai pu acquérir auprès de mes ainé(e)s, une approche finement élaborée de l'annonce. C'est également dans ces circonstances très particulières où l'on va demander à des parents anéantis l'autorisation de prélever les organes de leur enfant pour sauver d'autres vivants en sursis, que j'ai le plus appris sur le prix de la vie. L'empathie a fait le reste...
A l'heure où la psychologie gagne de plus en plus de considération dans le milieu hospitalier, j'aimerais bien savoir quelle part l'université donne à la formation pratique obligatoire en thanatologie des étudiants en médecine? C'est pourtant un domaine que devra aborder le médecin tout au long de sa carrière. Y est-il préparé ?
Autre mort à rapprocher de celle qui survient dans un contexte accidentel: le suicide. De plus en plus de jeunes enfants y ont recours pour fuir des situations pour eux invivables.
C'est une des causes les plus fréquentes de décès chez les moins de quinze ans dans nos sociétés dites évoluées. Évoluées par rapport à quel modèle, je vous pose la question ?
Les faits divers relatés par les médias font part de suicides d'ados, mais cette mort volontaire existe de plus en plus chez les moins de 10 ans.
Le décès par "autolyse" (néologisme médical élégant, créé pour avoir l'illusion de ne pas parler de la mort par des professionnels qui ont peur de la mort) mêle la soudaineté et la violence de la mort accidentelle à une charge de culpabilité intense chez les parents du suicidé. "Pourquoi ce geste désespéré? Qu'avons-nous fait ou omis pour en arriver là ? Pourquoi n'avons-nous rien vu venir ? Sommes-nous des monstres pour n'avoir pas su ou pu être sourds à tant de douleur ?" Peut-on cicatriser un jour cette déchirure ? Pas certain...
Cette double brisure complique considérablement le travail de deuil et requiert un soutien extérieur très fort. Cet autre moi-même à qui j'ai donné la vie n'en a plus voulu, on comprend alors encore mieux la "peine" ontologique d'Ève, déjà évoquée dans son approche symbolique.
Ève qui donne la vie et la mort différée en même temps, va parfois être dans le cumul temporel des deux issues de l'être, dans le cas de la mort foetale ou néonatale, troisième cas spécifique de la pédiatrie que nous envisageons.
(A suivre)
"Ne change pas ta nature si quelqu'un te fait mal, prend juste des précautions.
Préoccupes-toi plus de ta conscience que de ta réputation.

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