La Cour des débâcles

La Cour des débâcles

Messagepar Jean-Claude Carton » Mar 04 Déc 2012 05:58

Je reprends ici un article de Franck Balmary paru dans LRAL http://larocheauxloups.wordpress.com/20 ... -debacles/


La Cour des débâcles
C’est une histoire de tous les jours, une ritournelle sordide devenue trop courante, qui fleurit à chaque coin de rue et gangrène aujourd’hui les boulevards comme les passages plus obscurs. Pour en venir aux faits, un ami de la Roche ici présente, l’auteur Richard Khaitzine, s’est fait agresser avec sa femme vers Porte de la Villette, un dimanche soir de novembre, en revenant tranquillement de la proche banlieue à chez lui, dans Paris. Ce genre d’événement fait partie de notre quotidien, a-t-on coutume de dire aujourd’hui, mais il est certains moments où certains actes franchissent allègrement la limite du tolérable et doivent être pointés du doigt avec force.
« Mais la violence à toujours existé, Monsieur Loup, elle est proche cousine de l’humain et se manifeste à lui de temps à autre, comme un beau renvoi de bile ». Certes, ami… Le brigandage de grand chemin et autres blousons noirs ont toujours malmené les promenades du populo en quête de quiétude. Cependant, la violence qui sévit aujourd’hui est un mal de nature un peu différente. Elle traduit le vide substantiel qui rogne les esprits avant de ronger les rues, sous les yeux mêmes de la Cité. L’ultra violence, « cosmétisée » à grands coups de dollars et de scénarii aussi improbables que souvent répétés, administrée au compte-goutte hypnotique de notre amie télévision par les sérails communicants, accouche aujourd’hui d’une anorexie sociale douloureuse, reflet d’un état d’esprit abâtardi par un trop plein de simplifications orientées, incapable de dissocier mises en scènes et vie réelle. Les masses partiellement connardisées (parce-qu’heureusement ce n’est pas le lot de tout le monde), avalent chaque jour les grumeaux de cette « way of life » assassine, insidieusement planquée dans l’obésité de la sous-culture surabondante chère à notre monde « libre », et l’assimilent comme une vérité première. Cette plaie nommée violence est la petite vérole de notre démocrassie à bout de souffle et nous parle de la boue qui a encrassé celle-ci à haut niveau. Elle n’est plus qu’une vieille prostituée piétinée par la course au pouvoir, totalement Copé de ses racines humanistes, dépossédée de son sens même. La démocrassie fast food n’est plus qu’un prétexte marketing à seul but vendeur. Mais pour vendre quoi? Un cadre sociétal d’un genre nouveau qui, sous des apparences de félicité à boire et à manger, impose sans discussion des décisions prises en petits comités pour « le bien de tous » en donnant la part belle aux inégalités. Un gigantesque parc à moutons standardisé, bouffeur de pubs et d’ipods. La déconstruction rend con, la paupérisation concasse le tissu social jusqu’à la bouillie, les paillettes du tout « entertainment » ne sont que bulles à stress vectrices de cassures.
Bref, trêve de philosophie de comptoir, j’en fais des tartines loin des blessures réelles et de leurs conséquences. Le coup de gueule ou de crocs ne changera rien à ce qui s’est passé. L’atteinte à l’intégrité physique reste un acte grave (surtout à sept contre deux, dont une femme). L’idée étant que nous ne devons pas laisser la diversité sociale et culturelle de l’idéal républicain dériver dans le n’importe quoi de la ghettoïsation économique ou sociale, Voix Unique de l’ultra libéralisme. Nous ne devons plus accepter cet état de fait, car nous en paierons tous, tôt ou tard, le prix fort. Nous n’allons pas nous taire pour une poignée de connards qui s’amuse à pourrir l’ambiance en agressant des gens ou en brûlant des gymnases gratis ou que sais-je encore. Ce réel problème de petit banditisme ultra violent, qui agit comme une dictature de la peur, doit nous amener à en dénoncer les causes autant que les effets, sans faire le jeu d’une récupération toute trouvée et indigne d’intelligence mais sans détour et sans langue de bois non plus.

Laissons donc la parole à Richard. Nous relayons ici son propos car il nous paraît important de ne plus fermer les yeux.
Courrier adressé à AUBERMENSUEL, journal d’Aubervilliers
Suite à la très violente agression dont mon épouse et moi-même avons été victimes Dimanche, j’ai décidé de porter cette affaire sur la place publique dans l’intérêt général en usant des réseaux sociaux, dans un premier temps, et en faisant remonter l’information aux ministères concernés
par la sécurité et la justice. Si certaines et certains d’entre-vous ont des entrées et/ou la possibilité de relayer à grande échelle qu’ils ne s’en privent surtout pas. Pour commencer, vous pouvez prendre connaissance du texte ci-dessous, adressé au mensuel édité par la Mairie d’Aubervilliers…

" Messieurs,
Je porte à votre connaissance les faits suivants:
Dimanche soir, aux alentours de 19h45, mon épouse (68 ans) et moi-même (65 ans) revenions de chez nos enfants où nous venions de fêter le premier anniversaire de notre petit-fils. Nous nous apprêtions à quitter le terre-plein situé devant Darty afin de prendre le bus Porte de la Villette, quand nous avons été victimes d’une attaque particulièrement sauvage. Mon épouse a été dépouillée de son sac à main, quant à moi, l’un des assaillants, qui voulait s’emparer de ma sacoche, n’a pas hésité à me projeter violemment contre une voiture en stationnement tout en me cognant le visage contre ledit véhicule, m’occasionnant deux blessures ouvertes. Voyant que je ne n’étais pas assez “sonné”, il a tenté à deux reprises de récidiver sans pouvoir y parvenir. A cet instant, j’ai pris la décision de ne pas lui faciliter la tâche – non afin de préserver mon sac, mais en espérant provoquer une diversion suffisante afin que l’intégrité physique de mon épouse soit épargnée. Bien décidé à s’emparer de ma sacoche, l’assaillant m’a roué de coups de pieds. Fort heureusement, ayant eu la présence d’esprit de me “rouler en boule”, les coups n’ont pas eu les effets escomptés. Mon sac (toilé) s’étant coupé en deux, l’agresseur a détalé, n’en emportant qu’une moitié dont il s’est débarrassé plus loin, sans se douter qu’un compartiment intérieur contenait mon portefeuille. Nous devions retrouver le sac de mon épouse un peu plus loin également, délesté de quelques objets.
Bilan:

* Aucune blessure à déplorer pour mon épouse

* De mon côté:

– Deux plaies ouvertes au visage: arcade sourcilière et arête du nez et deux hématomes dans la région de l’œil

– multiples contusions et hématomes sur le corps – dont un important au niveau de l’articulation de la hanche

– Fracture du majeur de la main gauche…
Tout ceci pour un butin se montant en tout et pour tout à vingt euros et un téléphone bas de gamme usagé… Et encore nous en sortons-nous à bon compte, si vous me permettez l’usage d’un euphémisme, car j’ai bien cru ne pas en réchapper vivant. Mon épouse et moi-même avons passé la fin de la soirée aux urgences de “La Roseraie”. Dès le lendemain, nous sommes allés déposer une plainte au commissariat de notre quartier (Paris 18e) où les faits ont été caractérisés « de “ vol avec violences en réunion”. Les assaillants, au nombre de 6 ou 7, pour autant que nous ayons pu en juger, étaient vraisemblablement des mineurs, sauf peut-être celui qui s’est acharné sur moi. Ce dernier était muni d’une béquille en métal – qui ne doit pas lui servir de point d’appui, vu la vitesse à laquelle il s’est enfui, mais bien plutôt d’arme par destination. Il y a de fortes chances pour que ce gang soit déjà connu des services de police municipale et réside dans la rue des Cités, vers laquelle il a pris la fuite.
Ceci pour les faits bruts. Mon témoignage n’est aucunement destiné à ce que l’on s’apitoie sur notre sort, car aucune commisération ne parviendra à contrebalancer les traumatismes physiques, et psychiques et moraux occasionnés. Ce qui nous est arrivé est hélas le lot quotidien de citoyens qui ne demandent rien à personne, sinon le droit de pouvoir vivre paisiblement. Les agressions de ce type sont monnaie courante et, lorsque les médias se donnent la peine de les relater, elles meublent la rubrique des faits-divers, oubliés dès le lendemain, même s’il n’en va pas de même pour les victimes.
Venons en à présent aux raisons plus profondes qui motivent mon témoignage. Toutefois, avant de les exposer, et parce que je sais, par expérience, comment les propos peuvent être dénaturés ou interprétés, je vais faire une mise au point, en évitant cette langue de bois tellement en usage dans le milieu politique, et en appelant un chat un chat. Tout mon passé, comme ma démarche présente, attestent de ce que je suis et des valeurs que je défends. Je suis un humaniste - au sens ancien de ce terme et non en l’acception tellement galvaudée et récupérée que l’on donne à ce mot de nos jours. Petit-fils d’émigré moi-même, je sais ce que peut signifier le fait de posséder des racines étrangères. Pour autant j’aime profondément mon pays et suis fortement attaché aux valeurs démocratiques et républicaines inscrites dans notre Constitution et la Déclaration des Droits de l’Homme. J’abhorre le racisme sous toutes ses formes et ce qu’il s’agisse de l’antijudaïsme, de l’antisémitisme, comme de l’ostracisme qui en constitue le terreau. Je suis un homme aux idéaux de “gauche”, pour autant que cela puisse encore signifier quelque chose. Néanmoins, je considère qu’une “bête fauve” et un barbare restent une bête fauve et un barbare, quelles que soient leurs origines et ne puis me satisfaire d’un discours lénifiant teinté d’angélisme visant à minorer les délits dont ils sont coupables en leur trouvant des circonstances atténuantes, de préférence en invoquant des origines sociales modestes. La pauvreté n’explique rien et, surtout, ne saurait justifier un tel comportement.
Ceci étant posé, j’en appelle aux édiles de notre pays, aux femmes et hommes politiques, qui ne seraient pas uniquement préoccupés de la pérennité de leur situation personnelle, ainsi qu’aux différents ministères chargés de la Sécurité. Il faut que cela cesse. Il est grand temps de nettoyer en profondeur les quartiers sensibles afin d’assurer aux citoyens français le minimum de sécurité à laquelle ils aspirent et ont droit. Cela passe par une présence renforcée de la police de proximité sur le terrain et encore plus par une prise de conscience de la magistrature, cette dernière ayant une fâcheuse tendance à requalifier les faits afin de faire juger les délinquants en Correctionnelle plutôt qu’aux Assises. En ce qui me concerne, je n’entends pas lâcher “l’affaire”, bénéficiant d’une notoriété, modeste certes, mais dont ne peut même pas se prévaloir la majeure partie de nos concitoyens, je vais relayer ce message sur les réseaux sociaux et m’efforcer de faire bouger les différents acteurs en charge des responsabilités civiles et cela même si ce type d’intervention fait office de “poil à gratter” .
J’espère que, de votre côté, vous aurez à cœur de publier ce courrier, mesuré dans sa formulation, qui ne peut que servir vos propres préoccupations et intérêts locaux.
Veuillez croire en mes sentiments les meilleurs.
Richard Khaitzine
Ecrivain
Membre de la Société des Gens de Lettres »
Ces affranchis à la petite semaine, Scarface du pauvre, sont donc tombés sur un os. Plainte a été déposée en bonne et due forme et ils devront répondre de leurs saloperie devant la société civile. Du moins espérons… Parce-que nous ne devons pas non plus nous bercer d’illusion quant aux blocages politiques qui minent l’espace démocratique. Pour exemple, ce commentaire de Richard suite à l’envoi du courrier reproduit ci-dessus, tout à fait révélateur des omertas en place:
Complément qui en dit long sur le fonctionnement de nos institutions. Le mail de AUBERMENSUEL indiqué par la mairie ne fonctionne pas et quand vous essayez de contourner le problème en adressant un mail au Maire, même résultat. Je viens de lui copier le texte sur son blog…
En tous cas, il figure à présent en bonne place sur le blog du Loup. Un autre message fesse bouc de Richard suite à ma manifestation de soutien, allant dans le même sens:
Merci de ton soutien. Ta présence n’aurait rien changé et tu aurais riqué de de faire estropier. Dailleurs ma fille voulait nous raccompagner jusqu’au bus, et heureusement que je l’en ai dissuadée. J’ai été le seul à « morfler » et même si cela est très douloureux, j’estime que nous avons limité la casse. Ce qui me fout en colère, c’est que personne au Ministère de l’Intérieur ou à la justice ne réagit à mes mails. J’en tire la leçon qui s’impose et vais envoyer ma carte d’électeur en confettis à l’Elysée, avec une lettre explicative. Je n’envisage plus de voter pour des margoulins, qu’ils soient de droite ou de gauche. Mais tu peux être sûr que je vais militer activement pour la désobéïssance civile. Quand la loi est injuste et quand les textes ayant fondé la démocratie ne sont pas respectés par ceux chargés de les appliquer, les citoyens ont le devoir de la combattre. Bien à toi Richard.
Voici donc les conséquences directes du laisser faire: le désaveu. Il est évident, quelque soit l’époque, que l’émergence d’une réelle conscience citoyenne, c’est-à-dire ayant à cœur le bien commun, ne peut se faire qu’en-dehors des contingences politiciennes et des frontières idéologiques. La « stratégie politique » ne doit servir que la Vie Publique et rien d’autre, c’est-à-dire celle de tous, et ne doit plus être un tremplin de carrières honteusement surpayées (et rigolez pas, c’est avec vos impôts!). Car c’est faire outrage à l’intelligence collective. Et c’est tout l’enjeu de notre temps, où le vernis des apparences craque sous le poids de l’intention véritable, dite « décomplexée ». Une Fronde démocratique est peut-être le remède à la logique de « calcul », véritable tumeur compétitiviste et infantilisante. Le cercle politique n’est plus à l’écoute du monde? Alors laissons le tomber comme une vieille chaussette, c’est signe que nous n’en avons plus besoin, et posons les fondements d’une base saine. Car il est plus difficile de construire, mais c’est bien plus enrichissant au final. Et je suis tout disposé à y prêter mon modeste bout de plume, quel qu’en soit la manière.Non, l’histoire de France ne s’arrête pas en 1789, comme peuvent le proclamer certains nantis du haut de leur montagne de bénèfs faciles (et j’en connais d’autres, gorges chaudes, qui pensent de même), elle ne fait que commencer. Sus aux poseurs de limite incapables d’imagination, castrateurs d’espoir, l’on voit trop bien où ils nous mènent. Car même s’il « n’y a plus rien », comme dirait l’Autre, nous pouvons tout.
Et maintenant, souhaitons tous à Richard un prompt rétablissement, tous en chœur (allez, je ne vous entend pas!): Bien à toi Camarade Citoyen!


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Re: La Cour des débâcles

Messagepar La Roche Aux Loups » Mar 04 Déc 2012 16:28

Arff… Pas eu le temps de faire tourner ici hier soir mais internet va plus vite que tout :lol:

Super! Enfin… je sais pas. Pas super pour Richard…

Il l'a échappé belle mais ce n'était pas son heure. Tant mieux. Qu'il se rétablisse et reviennent en forme pour d'autres émissions et d'autres bouquins.

Franck.
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Re: La Cour des débâcles

Messagepar christian attard » Mar 04 Déc 2012 17:18

Bonjour à tous,

Cette révolte face à la violence fut aussi le cri d'un écrivain que j'aime beaucoup pour au moins deux formidables romans : "La paroi" et "Un crime de notre temps".

Dans "Un crime de notre temps" en 1976, Pierre Moustiers raconte une agression étrangement similaire à celle contre Richard et son épouse mais elle se finit beaucoup plus dramatiquement.
La seule ressource pitoyable et intéressée face à cette violence fut de développer la vidéo surveillance.
J'ai à ce propos une anecdote révélatrice.
Une nuit, j'attendais dans mon véhicule pour récupérer ma fille à la sortie d'une soirée chez des amies dans une des rues principales de Toulouse sous les yeux d'au moins deux caméras lorsqu'un homme s'est affalé sur le trottoir. Je descends tente de lui porter assistance mais le gars un ivrogne m'envoie ballader pour se recasser la gueule quelques mètres plus loin. D'autres personnes viennent à mon aide et nous tentons de le raisonner, rien à faire. La scène a du durer dix bonnes minutes jusqu'à ce que le type se cale contre une porte pour cuver.
Personne n'a bougé derrière les écrans de surveillance.
Les caméras ne servant jamais à prévenir ou stopper un délit.

Quant à ma carte d'électeurs, je ne m'en sers plus depuis des lustres !
Bon rétablissement à Richard à qui je renouvèle mes meilleures pensées.
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